ABUS DANGEREUX --- #122 --- AVRIL 2012
INTERVIEW COMPLÈTE by Bertrand Tappaz

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Cambrousse Garage Noisy
J’ai découverts d’abord les Cowbones sur scène en première partie du duo Mötöcröss, une sorte de double baffe live. Depuis l’album est arrivé, et lui aussi il assome ! Les Cowbones pratiquent un Garage Punk Noisy, primitif, abrasif, aventureux, avec un son ample et mal peigné comme je croyais l'époque incapable d'en produire. Une spécificité qui a à voir avec l'histoire du groupe, ses conditions de travail, ses goûts et ses convictions en matière de son. Peut-être que des données sociologiques pourraient être prises en compte.

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Histoire des Cowbones ?

B. : Les conditions sont toujours spécifiques à un évènement. En l’occurrence, notre Big Bang à nous ce fût un barbecue et une discussion qui commençait par « j’ai toujours rêvé de monter un groupe de punk » et qui s’est finie comme ça : « on monte un groupe et on joue d’un instrument qu’on ne connaît pas ! ». Quelques mois plus tard, l’invitation d’une voisine qui en avait eu vent nous oblige à passer à l’acte, les 70 ans de son mari, on ne peut plus punk comme conditions ! Chacun y a vite trouvé une place, à l’époque on était quatre. Et moi j’ai dit que j’allais chanter, vu que je ne savais rien : j’avais que ma voix à proposer.

Y. : A l'époque je n'étais pas encore né.

S. : Yoris est arrivé en 2008 avec son improbable synthé analogique. On a oublié qu’au début, on n’était que quatre. Le nom du groupe veut dire oosdevach parce qu’on vient de la campagne.

A. : Le Cowbone est un animal qui ne doit plus se reconnaître. Un jour, Collin est arrivé avec des bonnets de ski, des trous découpés aux yeux, sortes de masques Lucha Libre version automne-hiver. C’était pour notre troisième concert je crois, on s’est rendu compte que ça agissait sur le lâché-prise, on a tout donné ce soir là. Le concert suivant, j’ai même cassé une guitare sans trop le décider moi même. Nous étions enfin parvenus à devenir schizophrènes sans nécessité de consommer des drogues dures.

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Votre aventure à prise assez vite un tour 'sérieux' grâce à quelques rencontres importantes...

B. : On habite dans un petit village, à quelques encablures de Gigors et de sa salle CBGC. Il se trouve qu’on connaît bien Jill et Totome qui ont inventé et animent ce lieu, en passe de devenir mythique. Jill et Totome nous ont vus jouer et ils nous ont invités à jouer chez eux. Pour nous c’était énorme !

Y. : Depuis c'est un peu notre repère non ? On y répète, on y joue, certain de nous se sont investis dans l'asso qui gère ce lieu.

S. : Très vite, grâce à Gigors Electric, on a pu jouer devant des gens et c’est assez stimulant. Des gens qui dansent, qui renvoient quelque chose de puissant. Et puis, Totome nous a trouvé pas mal d’autres concerts. Je pense que les sensations qu’on a sur scène ont été un important moteur de notre envie de continuer.

A. : Pour notre premier concert au CBGC on a joué avec Vile Imbéciles (from Brighton), un groupe complètement jeté sur scène, une leçon. C’est dingue ça, on habite tranquillement à la campagne et on se retrouve à jouer avec des groupes Anglais, Danois ou Japonais.

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Nouveau membre, et expérience musicale ?

B. : Finalement, Cowbones est un petit collectif : on a rapidement multiplié les projets et on a fait des rencontres. Yoris, c’est le coup de foudre. On l’a gardé avec nous, et je sais pas comment ça s’est passé, mais c’est comme s’il avait été toujours là.

E. : Batteur amateur quand j’étais lycéen, je n’avais pas retouché à des baguettes depuis presque 20 ans et à vrai dire n’avait qu’une piètre culture rock… en étant resté coincé aux élucubrations de Jimi Hendrix ou des Led Zep… avec mes acolytes plus cultivés, je suis éberlué d’entendre à chaque répète parler de groupes inconnus (Sonic Youth, les Cramps, Bob Log III)… ce qui ne m’empêche pas de cogner.

Y. : Jamais j'aurai pensé faire partie d'un groupe qui joue ce genre de musique. C'est complètement improbable ! En solo je fais plutôt de la musique électronique minimal, de la techno-dub. Pour moi, Cowbones c'est avant tout une histoire de rencontre, il y a une sacré synergie entre nous, non ?

S. : Au début, on a fait juste ce qu’on pouvait faire puisqu’on commençait ensemble. Techniquement, c’est très simple. En commençant à jouer, on s’est fait écouter des disques : Action Swingers, Pussy Galore, Les Cramps… Des trucs qui partent du rock’n roll et qui le déplace ailleurs, qui le décale. En fait, comme on vient tous d’univers différents et qu’on n’est pas musicien, on s’est rassemblé derrière la plus grande simplicité possible en pensant à l’art brut et ce genre de truc : faire avec ce que l’on a (ou ce que l’on est !) et surtout que ça groove. Une sorte de transe vaudou avec trois accords.

A. : Par exemple, nous avons un batteur qui n’a pas les capacités techniques de faire un break (ça le décale) : on en a profité pour en faire un concept (le No Break). De l’histoire des disques, je ne crois pas encore avoir déjà entendu d’album où une vraie batterie ne fait strictement aucune descente de fûts ni de relance. Au final c'est devenu notre fierté.

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Est-ce que vous pensez qu'être un groupe de la cambrousse
explique certaines de vos spécificités ?


B. : Chez nous, on croise moins de monde que dans une grande ville. Les occasions de se mirer dans les pupilles d’autrui se font plus rares. Alors on avance et on invente. Il doit y avoir de ça ; et puis quelque chose de l’art brut aussi.

E. : C’est une question de citadins !
Un avantage tout de même on peut répéter tard dans la nuit...

Y. : Habiter dans la cambrousse nous permet de rencontrer les gens plus facilement, mais comme on est moins nombreux ça nous oblige à nous débrouiller avec ceux qu'on a sous la main, du coup ça crée des mélanges intéressants. De toute manière je pense que pour le groupe c'était plus une question de temps que d'espace.

S. : La musique de Cowbones est juste la traduction électrique et sonore de la rencontre de cinq univers intérieurs de cinq types… Alors, l’extérieur, le paysage, tout ça… Ça doit bien nous influencer quelque part. Peut-être une chose : nous répétons dans un lieu qui se situe au centre de la Pangée. C’est le point qui est resté fixe au moment de la dérive des continents. Sans doute, l’énergie accumulée ici et qui cherche à sortir passe par nos instruments… Alors forcément, c’est chaotique.

A. : Il me semble que les vaches s’habituent à notre présence. Elles viennent vers nous maintenant, c’est émouvant car j’ai l’impression qu’elles écoutent vraiment.

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Ou bien est-ce vos goûts musicaux
qui expliquent votre son et votre particularité ?


B. : C’est surtout le goût du risque et du hors sens qui nous guide. Le son, c’est la trace de ce qui se trame entre-nous. D’ailleurs, Eric essaye d’en faire des photos : il photographie des amplis en train de fonctionner, volume à bloc. Comme lui, on essaie d’attraper un truc.

E. : C’est plus comme une tentative de séance traditionnelle gnawa mais avec des guitares électriques. Nos goûts musicaux étant bien trop disparates pour faire réellement sens, c’est au niveau énergétique que ça se passe. C’est quand ça s’assoit, quand ça danse, que ça existe.

Y. : Tout à fait, on se retrouve tout les cinq là-dessus. Mais il me semble quand même qu'il y a des attentes précises de la part de certains membres sur le son Cowbones.

S. : Extrême simplicité, transe, fébrilité… des choses qu’on essaie d’entretenir.

A. : On compte filmer la réaction physique d’un ampli guitare (un vieux Marshall) dans lequel on va passer une boucle de delay qui s’empile et donc s’amplifie jusqu’à l’infini. C’est une expérience scientifique afin d’observer à quel moment et de quelle manière va t’on parvenir à la rupture : est-ce que le speaker va exploser ? Si oui, comment et quelle fréquence va en sortir ? Ou, est-ce que se sont plutôt des composants électroniques qui vont partir en fumée ? Y aura-t-il des flammes ? Bref, c’est un projet très stimulant. Ce sera filmé et enregistré, on vous tient au courant.

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Avant ce qui est devenu votre premier album,
aviez-vous déjà enregistré quelque chose ?


B. : On a toujours enregistré nos répètes et certaines sonnent. On a des traces de concerts aussi. Mais le processus d’enregistrement de l’album, c’était vraiment une première.

E. : Des annonces téléphoniques.

A. : J’avais 13 ans, on a monté un groupe de pop avec ma sœur, elle jouait la guitare folk, je faisais la batterie (avec une boîte de biscuit en fer et une valise en carton, la vache ça sonnait!), on chantait tous les deux en yaourt, on a enregistré sur 2 pistes avec un magnéto cassette, en inventant des techniques d’overdubbing avec la chaîne des parents. À l’époque notre album a été édité en 3 copies, avec pochette faite à la main, un collector quoi, mais je n’arrive pas à remettre la main dessus.

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Racontez nous les conditions spéciales
de votre travail en studio


B. : Rémy était ok pour nous enregistrer, et Jean-Paul de S-Audio nous a prêté ses locaux (des anciens frigos à viande), tout un week-end. Chez lui, on avait beaucoup de matériel à disposition, et on avait amené notre fatras (micros, amplis, câbles, instruments…). On s’est enfermés là pendant 48 heures, comme on s’installe dans un désert. On a mis une tente.
Et le truc est venu tout seul.

E : Pour ma part, j’étais à ce moment précis sur une autre planète donc très peu de souvenirs…

Y. : Pour l'enregistrement c'était vraiment express, une envie, un temps-libre et zouuuu ! On a crée 2 ou 3 morceaux en one shot. On ne peut pas vraiment parler de studio classique, on a enregistré dans un endroit pas du tout conçu pour ça. Après il y a eu beaucoup beaucoup de travail d'édition et de mixage. Tout ça à été très empirique, heureusement que certains parmi nous étaient un peu initiés aux techniques du son.

S. : On avait chacun notre case en béton en tête à tête avec notre instrument, et un casque sur les oreilles. On a joué les bases des morceaux en live. Bruno a fait toutes les voix enfermé sur le siège avant de sa voiture en écoutant du foot à la radio.

A. : Dans ces immenses frigos, je crois qu’on n’avait jamais mis nos amplis aussi forts, puis on a envoyé le pâté tous ensemble au kilomètre, des prises de 9 à 12 minutes tout à bloc, des improvisations bruitistes, des tests improbables. Pour les prises on s’est limités volontairement à 8 pistes, dont seulement deux micros pour la batterie. On a bossé sur du numérique, mais à l’ancienne.

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Quand avez-vous sû ou décidé
que ce que vous aviez serait un album ?


B. : On a décidé avant d’enregistrer que ce serait un album.
On décide toujours avant. On se lance et on fait.

E. : Rémy est depuis le septième cowbones. On avait rêvé de faire un album, Rémy l’a fait.

Y. : Je me demande toujours qui est le sixième !

S. : Il y a plein d’autres Cowbones. Jean-Paul qui nous fait le son, Christel qui est une de nos éminences grises (et la seule fille), Totome qui est notre manager…

A. : Comme dit Eric, on rêvait d’un album, comme des gamins. Mais il était sacrément flou, on avait deux jours, il nous manquait des titres. On a tenté un truc. Il me semble que c’est lorsque Rémy a dérushé nos innombrables pistes que l’album s’est réellement profilé, il nous a fait écouter des trucs enregistrés qu’on avait carrément oublié. Bingo, les morceaux qui nous manquaient étaient là. Le montage et le mixage se sont étendus sur deux mois environ, une éternité comparé à la séance d’enregistrement.

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Il y a aussi un très gros travail sur la pochette et le packaging du CD, qui l'a fait ? Y a-t-il un message caché derrière tout ça ?

B. : Oui, il y a un message qui se cache à l’intérieur d’une soucoupe volante.
Mais je crois qu’elle est repartie.

E. : Bien sûr, gros travail donc gros message. On est un groupe visuel il nous fallait donc une pochette à la hauteur… On a pris les meilleurs.

Y. : Arnaud est graphiste, à partir de là il s'est fait un plaisir de travailler sur le visuel.
Rien n’est caché, tout est là, c'est juste une question d'attention.

S. : Cowbones est un groupe de série B…
Comme on disait un film de série B dans les années 50

A. : Tout est véridique. Il y a notamment une capture vidéo d’une soucoupe qui est passée juste au dessus du CBGC, là où nous répétons. Pour le reste, ce sont des phénomènes survenus dans le monde entier. Par exemple lorsque qu’un gars photographie une girafe et se rend compte au développement qu’un OVNI passait à ce moment là en arrière plan ; le mec, il envoie sa photo à la Nasa qui l’étudie et authentifie le phénomène. Ou bien cette image de la mythique « Bataille de Los Angeles » en 1942, lorsque la DCA américaine pilonne pendant plus d’une heure des formes ovales et lumineuses qui volent hyper vite en évitant les obus (et que tout le voisinage a pu observer, vu le bordel). Un galonné annonce le lendemain à la presse sur les dents, que c’était peut-être un nuage et que la DCA était un peu stressée en ce moment à cause des japonais. Franchement, habiter sur terre est passionnant.

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Les COWBONES j’adore ! Ils sortent de l’ordinaire, et bouillonnent de projets, notamment une performance avec des danseuses Momies. A suivre de très très très près.
Bertrand Tappaz